Pertes d’exploitation : le coup d’assommoir

par | 3 Fév 2022 | Eclairage

Les débats sur les conditions de l’application des garanties de pertes d’exploitation « sans dommages » étaient déjà difficiles. La décision de la Cour d’appel d’Angers pourrait bien avoir renversé la table en considérant que la pandémie est en soi un dommage.

Jusque-là cantonnée au secteur de la restauration et à la compréhension des clauses d’extensions ou d’exclusions, la question concernait l’application d’une garantie identifiée, sur laquelle peu ou prou tout le monde s’accordait. La cour d’appel d’Angers a jugé pour la première fois, le 28 septembre dernier, que la clientèle faisait partie de la généralité des biens d’une entreprise, et qu’à ce titre, c’était un bien assuré. La Cour a estimé que l’épidémie de Covid d’une part, et les fermetures administratives d’autre part, ont endommagé la clientèle et que cela constituait donc un sinistre. Il ne s’agit plus désormais de seulement vérifier si la rédaction des clauses est juridiquement conforme. Désormais, c’est la nature même de la garantie qui est interpellée. En effet, tous les contrats « tous risques sauf » de pertes d’exploitation sont potentiellement concernés. Voire tous les contrats multirisques « tous sauf » si on considère que l’énoncé des risques n’y est qu’indicatif.

Les conséquences financières pour les assureurs sont d’une autre ampleur. Première conséquence, les organismes d’assurance vont donc devoir provisionner et probablement de manière massive pour affronter les éventuelles réclamations. Deuxième conséquence, une insécurité juridique née de cette décision souligne la fragilité de la rédaction des contrats. Même bien posé, le périmètre d’un contrat peut être contesté et s’ouvrir justement à ce qui n’avait été ni prévu, ni chiffré. Inévitablement, cela pourrait finir de restreindre les capacités de souscription de ces risques. Il était déjà devenu très, très difficile de trouver des porteurs de risques, cela pourrait devenir une mission impossible. D’autant que les réassureurs ont pratiquement fermé leurs capacités en cette matière.

Si d’aventure, cette décision venait à être confirmée, c’est un véritable défi qui serait lancé aux assureurs. En effet, si l’assurance repose sur l’aléa, une couverture repose sur une évaluation économique pour vérifier que la mutualité, gérée par l’assureur, peut la supporter. La fonction du souscripteur est d’en cerner les contours, d’en évaluer le risque pour lui donner un coût. La mutualisation ne peut pas s’organiser sérieusement autrement. A défaut de pouvoir y procéder, l’assurance n’est plus possible. Ou, plus exactement les mécanismes professionnels ne pourront plus intervenir. Reste la voie étatique, un moment investiguée, notamment par France assureurs qui a d’ailleurs fait des propositions. L’importance des sommes en cause avait conduit le ministre des Finances à enterrer le projet.

Cette décision de la Cour d’appel d’Angers amène à se poser deux questions. La première est celle, un peu philosophique certes, de l’acceptation du risque. Les sociétés modernes l’ont plutôt en aversion, mais une entreprise et ses dirigeants sont des « risqueurs » professionnels, ils sont formés pour en prendre, de manière raisonnée sinon acceptable. Néanmoins, la prise de risque fait partie de leur ADN, s’en extraire dénature une partie de leur raison d’être. De facto, une deuxième question se profile : est-il possible de tout attendre de l’assurance comme de l’Etat ?

L’assurance justement ne peut pas tout offrir, ni tout prendre en charge. Elle repose sur des techniques éprouvées, sérieuses et qui plus est contrôlées. Elle ne peut pas faire autrement que de s’y tenir, voire se retirer d’un risque si elle le juge objectivement inassurable. D’ailleurs, les Pouvoirs publics y veilleront.

Henri DEBRUYNE

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