Voir disparaître l’un ou l’autre des acteurs de la distribution n’est pas chose rare. Observer la remise en cause ou la marginalisation de tout ou partie d’un système organisé parait inconcevable, et pourtant.

Deux exemples, devant nous, soulignent que le changement de modèle économique et /ou l’inadaptation aux marchés peuvent entraîner des conséquences délétères. Le premier est illustré par CAMAIEU dont le clap de fin vient de faire tomber le rideau de 511 magasins. Certains soulignent que les fermetures liées au Covid puis les nouvelles habitudes de consommation ont accentué des difficultés déjà présentes. Il n’en demeure pas moins que ne pas anticiper les évolutions des besoins et les attentes réelles, se paye cash. Le second exemple est la remise en cause brutale du modèle économique de la distribution automobile. Ce dernier, s’appuie sur des réseaux de concessionnaires indépendants, des commerçants donc, exclusifs mais fortement encadrés par les constructeurs. L’opinion dominante des analystes de ce secteur considère que le système est à bout de souffle.

De fait, le marché automobile est bouleversé. L’impératif de la transition écologique et l’essor de la digitalisation du commerce entrainent des modifications dans les attentes des consommateurs. Ajoutons à cela, la concentration des constructeurs à la poursuite d’effets de taille, de rationalisations et d’économies qui finissent par atteindre les organisations commerciales. Enfin, la pression des coûts et la volonté des marques de redresser ou conforter leur rentabilité se surajoutent. Bref, fabriquer de belles voitures n’est plus un gage de succès, ni de maintien des parts de marché. Les constructeurs veulent maîtriser l’ensemble de la chaîne jusque chez le client. Dans l’urgence, une majorité d’entre eux a ainsi décidé de mettre fin aux contrats de concessions et de leur substituer des mandats d’agents. Ce qui constitue un changement de modèle profond.

Derrière ce mouvement d’ampleur, à l’échelle de ce secteur, un constat s’impose et deux questions dominent. Le constat est celui d’une substitution de modèle avec pour objectif principal d’augmenter les profits du constructeur, ce qui en soi est légitime, mais au détriment de la marge et de l’autonomie des partenaires concessionnaires. Rien ne permet de dire que le client final en sera d’une manière ou d’une autre bénéficiaire. Dans tous les cas, cette question n’est pas abordée dans la documentation accessible où ce qui domine est l’intérêt des constructeurs. Or, aucun système organisé ne peut durablement fonctionner dans l’abstraction ou le mépris des partenaires.
Deux questions clés focalisent cet état de fait, la première tient à la proximité du client et à la captation de ses informations, la seconde est celle du partage de la valeur. C’est un enjeu majeur de savoir qui aura accès aux données des clients, pour l’heure la propriété des concessionnaires commerçants indépendants. Derrière la question sempiternelle de savoir à qui appartient le client, la question de fond est bien celle de la maîtrise de ses données. Or, même avec une digitalisation développée, tout le monde s’accorde à considérer, que la proximité du vendeur, même en bout de chaine, reste déterminante. Une réalité fonctionnelle, mais plus encore stratégique. L’autre question, centrale à l’évidence, est celle du partage de la valeur. Aucun système au monde ne résiste durablement à un déséquilibre entre les bénéfices retirés par les différents acteurs y compris le client. Son bénéfice ne peut pas se limiter au seul prix du bien ou du service qu’il acquiert. Il est devenu une priorité pour le législateur européen.

Ces deux expériences, sous nos yeux, bien qu’apparemment éloignées de nos réalités soulignent combien repousser les débats qui fâchent finit par rendre les situations encore plus difficiles. Elles soulèvent des aspects de maîtrise des chaines de distribution, de répartition de la valeur qu’il est grand temps d’aborder collectivement.

Henri DEBRUYNE