Les carences des organes de contrôle

par | 9 Jan 2025 | Eclairage

Une nouvelle affaire met en lumière les manquements ou les insuffisances des autorités de contrôle. Après Sfam/Indexia, voici l’affaire Bio’cBon1 dans laquelle l’AMF se défile en pointant la responsabilité des distributeurs !

Entre 2010 et 2022, Bio c’Bon2 a commercialisé, via sa foncière spécialisée dans l’immobilier commercial Marne et Finance deux produits d’investissement distribués par des conseillers en investissements financier (CIF). Ces investissements étaient destinés à soutenir le développement de cette chaîne de magasins bio, créée en 2008, secteur en fort développement. Une idée attrayante, sinon originale, qui liait un intérêt économique avec le souci de soutenir un projet symbolique : « démocratiser la Bio en France dans la joie et la bonne humeur ». Las, derrière cet affichage, il semble que cette opération ait les caractéristiques d’une fraude à la Ponzi. L’AMF ne s’y est pas trompée puisque dès le 25 novembre 2013 elle ouvrait une enquête approfondie et le 6 octobre 2015, elle dénonçait le montage. Et puis ? Rien la vie continue, business as usual…

C’est seulement trois ans plus tard, en 2018, que l’AMF effectue deux signalements :

– Le 27 juillet elle adresse aux quatre associations professionnelles de CIF un courrier d’alerte concernant Marne & Finance, groupe financier faisant notamment la promotion d’offres d’investissement Bio C Bon sans respecter la réglementation pour ce type de placements comportant des risques. Et l’AMF termine son alerte par « l’AMF veillera au respect par les CIF de leurs obligations à ce titre ».

– Le 28 octobre, l’Autorité informe le Parquet en faisant état de lourds soupçons. Celui-ci confie le dossier à la BRIF3 avant qu’il échoie à la DGCCRF4. Beaucoup de temps perdu, car entre-temps Bio c’Bon en 2020 puis Marne & Finance en 2022 sont placées en redressement judiciaire puis en liquidation. Résultat, entre 5 000 et 7 000 victimes et 320 millions d’euros disparus. Les anciens dirigeants de Bio c’Bon devront enfin répondre devant la Justice, de pratiques commerciales trompeuses, en mai 2025. Chefs d’accusations que les connaisseurs du dossier jugent bien modestes par rapport aux faits relevés. Il est en outre reproché aux deux hommes d’avoir omis « sciemment » de signaler aux partenaires et investisseurs la présence dans l’écosystème Marne & Finance et Bio C’Bon d’un certain homme d’affaires, faussant possiblement leur perception. Ce dernier avait en effet dirigé auparavant l’enseigne Nasa Electronique, disparue après une faillite retentissante dans les années 80.

Comme dans l’affaire Sfam /Indexia, les soupçons étaient graves, concordants et les autorités de contrôle le savaient. Or, ni l’AMF, qui dans d’autres affaires a montré son volontarisme pour faire cesser des pratiques répréhensibles, ni l’ACPR n’ont pris, en temps et en heure, les mesures conservatoires qu’imposait la préservation des intérêts des clients. C’est pourtant leur mission principale. Certes, la Justice a, elle-aussi, été lente. C’est un peu dans sa nature, en revanche les autorités de contrôle ont pris un risque énorme qui se traduit, très vraisemblablement, par quelques milliers de victimes supplémentaires. Dans l’un et l’autre cas, les faits se sont déroulés sur une dizaine d’années avant qu’ils y soit mis fin par la déconfiture économique de leurs protagonistes.

Dans l’affaire Bio c’Bon, le fin du fin est de montrer du doigt les distributeurs qui ont commercialisé ce produit. En effet, l’AMF rappelle avoir alerté, en juillet 2018, les conseillers en investissement financier. Certes, mais elle s’est abstenue de toute sanction, ce qui n’accréditait pas vraiment son alerte. Bien évidemment, les conseillers ne sont pas exempts de reproches et leur responsabilité pourrait être recherchée. Mais l’AMF aurait pu vérifier si sa mise en garde a bien été prise en compte. L’a-t-elle fait ?

1 Voir l’enquête très complète de l’Informé www.linforme.com et l’article du Figaro du 2 août 2024 « D’anciens cadres de Bio C’Bon jugés en mai 2025 pour pratiques commerciales trompeuses »
2 Une chaîne de magasins de produits bio détenue par Carrefour depuis sa liquidation judiciaire du 2 novembre 2020
3 Brigade de recherche et d’investigations financières
4 Direction Générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes

Henri DEBRUYNE

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