L’assurance face à la tentation de l’économie dirigée
L’Etat, ou tout au moins ses dirigeants, ainsi que ceux qui aspirent à l’être, sont d’incorrigibles interventionnistes. In fine, ils compliquent les questions qu’ils sont censés résoudre.
C’est une seconde nature, il faut qu’ils se mêlent de tout, sur à peu près tous les sujets. L’assurance n’y échappe pas. L’épisode du Covid a illustré cet interventionnisme jusqu’à la caricature. Cela a commencé avec les pertes d’exploitation. Les assureurs ont été invités, que dis-je, sommés de faire leur devoir, faisant chorus aux revendications, parfois délirantes, des représentants des corporations les plus durement concernées. Les parlementaires s’en sont mêlés faisant passer de durs moments aux représentants de la profession emmenés par Florence Lustman1. C’est l’ACPR qui a calmé cet emballement en rappelant qu’il ne fallait pas compromettre la solidité financière des organismes d’assurance. En clair, ce qui est dû est dû. Au-delà, nous parlons de libéralités. Cette période n’a été propice à aucune réflexion de fond sur les rôles de chacun. Rien n’a rien changé.
Dès qu’une catastrophe naturelle se profile, les ministres, tout comme les élus des régions concernées, se précipitent afin de mettre la pression sur les assureurs. Ceux-ci depuis plus de trente ans gèrent ces situations difficiles et parfois dramatiques avec diligence et savoir-faire. Ils y ont même acquis une réelle maitrise. Cette attitude est quand même détestable, laissant planer un doute sur le professionnalisme et l’empathie de ceux qui sont au plus près des victimes, à l’évidence leurs assurés. Ces formes d’incantations prêteraient à sourire si le sujet n’était aussi sérieux.
L’assurance complémentaire santé est l’objet de la part des Pouvoirs publics d’une sollicitude contre-productive. Ils interviennent, dans cette activité concurrentielle, comme ils le font dans la gestion de la Sécurité sociale. Résultat, une situation de plus en plus contrainte, des mécanismes qui brident l’innovation et limitent la concurrence. Ce qui n’est bon ni pour les assurés, ni pour le secteur. Les parlementaires s’y mettent aussi. Le Sénat s’est emparé de ce thème et donne des orientations sur les prises en charge et les garanties.
La tentation est grande pour les Pouvoirs publics, demain avec la RIS2, de s’insérer dans la dynamique du conseil. En effet, ce texte imposera, sous des formes pas encore complètement définies, des systèmes de comparaisons pour améliorer l’information des clients grâce à plus de transparence et de comparabilité sur les coûts des investissements. Un normatif qui rendra les comparaisons effectives, mais sans brider l’accès à des produits qui ne suivent pas que les indices (les ETF), qui offrent la possibilité de surperformer, tout en laissant au distributeur les choix de gestion. En introduisant le concept de « Benchmark », la RIS implique de mesurer les coûts des produits par référence aux produits similaires et/ou équivalents sur un marché européen étendu. Ce dispositif, suivi par les producteurs de produits et vérifié par les distributeurs, doit permettre de s’assurer que l’ensemble des coûts de tel ou tel autre instrument financier sont justifiés et proportionnés au regard, notamment, de la performance du produit. Il s’agit évidemment de dispositifs liés à la responsabilité de ceux qui délivrent le conseil et ils peuvent constituer des avantages compétitifs. Or, certains envisagent de confier au régulateur la mise en place du normatif de référence. Ce n’est pas son rôle. Il ne peut d’un côté instaurer et gérer et, de l’autre contrôler. Ce serait le plus sûr moyen d’instaurer une économie dirigée et de priver le marché de ses capacités de création et d’innovation.
A l’évidence, les assureurs, les distributeurs et leurs organisations professionnelles sont confrontés à un rude problème. La Puissance publique et plus largement la classe politique sont devenues un facteur de perturbations. C’est regrettable, elles sortent de leur fonction de régulation et de contrôle pour se mêler du fonctionnement d’un métier qui consiste à élaborer des produits répondant aux besoins des clients. Alors que leurs fonctions régaliennes, en particulier sur le contrôle des pratiques commerciales, sont loin d’être remplies de manière aussi efficace que l’évolution réglementaire le demanderait.
1 Présidente de France assureurs
2 Le texte est actuellement devant le Conseil européen et fera l’objet d’une négociation finale au 1er trimestre 2025
Henri DEBRUYNE