Le commissionnement entre les mains de doctrinaires-apprentis sorciers

par | 8 Juil 2021 | Humeur

Comme un serpent de mer, la question du commissionnement n’en finit pas de réapparaitre et d’agiter les débats entre fantasmes et recherches de solution universelle pour les marchés.

Y-a-t-il sujet plus sensible que celui des rémunérations, surtout pour ceux qui sont rémunérés au succès ? Evidemment, tout ce qui touche in fine aux équilibres économiques et au pouvoir d’achat est hautement inflammable. Mais aussi et surtout, il existe un lien étroit entre les modalités de calcul des rémunérations et l’activité. Brider les rémunérations de manière inconsidérée ou altérer durablement l’équilibre économique des acteurs se traduit systématiquement par une sanction sur l’activité générée avec, n’en doutons pas, des impacts sur la nature et la qualité des services rendus aux clients. Cette règle de bon sens est régulièrement bafouée. C’est ce que nous apprend l’analyse de l’évolution des commissions en Europe réalisée par le MEDI*. La fin des commissions sur certains marchés en Europe a eu plus d’impacts négatifs pour les consommateurs que pour les intermédiaires qui, peu ou prou, ont retrouvé leurs marges de manœuvre.

Ainsi, dans certains pays le conseil a disparu de la commercialisation de produits d’assurance auprès de larges segments de clientèle. Au nom d’un grand principe, la rémunération proportionnelle a été déclarée scandaleusement contraire aux intérêts des consommateurs parce que génératrice de conflits d’intérêts. La facturation d’honoraires lui a été substituée et des millions de clients n’ont plus de conseil ! Toutes choses étant égales par ailleurs, le même phénomène s’observe dans l’analyse financière. MIFID2 a dissocié, pour prévenir les conflits d’intérêts, la rémunération de l’analyse financière, la recherche de l’exécution des ordres. Trois ans plus tard, l’analyse devenue payante n’est plus financée par les investisseurs, ce qui affaiblit singulièrement le suivi objectif des sociétés tant en nombre (30% des sociétés cotées à Paris ne sont pas ou plus suivies) qu’en qualité, les analystes n’ayant plus les moyens de consacrer le temps nécessaire à ces travaux.

Ceci se traduit par des effets néfastes sur les marchés et donc pour les clients. Il s’agit très clairement d’une question de modèle économique et de comportement des acteurs y compris des clients. En effet, l’analyse des modèles économiques, la viabilité des situations et l’anticipation des impacts de ces mesures sont à peu près systématiquement éludées. Cela est aussi vrai des organismes d’assurance qui cherchent d’abord à maîtriser leurs charges et se préoccupent assez peu des incidences sur l’écosystème. Certes, diverses situations méritent d’être corrigées, des pratiques anormales éradiquées pour installer des modèles plus vertueux. Mais de grâce, ne jouons pas aux apprentis sorciers. Il est paradoxal d’adopter une règlementation sur la distribution qui resserre fortement les obligations autour du conseil, de la prévention des conflits d’intérêts et de la loyauté due aux clients et de brider à l’excès les moyens de le faire sérieusement. Les distributeurs qui ne trouveront pas leur compte pour assumer ces responsabilités accrues et potentiellement chronophages vendront autre chose.

Déficit d’analyse et mauvaise anticipation plombent ainsi la réflexion et la préparation des décisions. Au moment où revient ce débat sur les formes de rémunération (commissions ou honoraires), une étude solide permettrait de comprendre les modèles et éclairerait bien les impacts des mesures projetées. Au lieu de cela, on continue à soutenir, entre ignorance et déni, des positions ou des analyses qui n’ont que peu de consistance et qui tiennent plus de la posture que de la réflexion construite.

*L’Europe pourfend les conflits d’intérêts et cible les commissions – septembre 2020

Henri DEBRUYNE

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