Le commissionnement : de Charybde en Scylla

par | 21 Mai 2023 | Eclairage

La dernière version connue de la RIS1 est une caricature de ce que l’on peut attendre d’un texte dont l’ambition est de favoriser l’investissement des particuliers.

En voulant conjuguer le respect des intérêts des investisseurs et la nécessité de dynamiser le financement de l’économie à partir d’une vision avant tout idéologique, la Commissaire européenne formule une proposition technocratique potentiellement dévastatrice. Finalement, son projet est complexe et en se focalisant sur les modalités de rémunération, il risque fortement d’être contre-productif avec pour conséquence immédiate l’affaiblissement de la collecte des cotisations d’assurance vie et des fonds en UC.

Pendant plusieurs mois, l’interdiction des commissions a occupé la majorité des débats. Puis, sensible aux arguments exposés, Maired McGuiness a semblé admettre que cette voie brutale n’était pas la meilleure. Las, le document qui circule recèle des dispositions qui compliquent très sérieusement le maintien du commissionnement. Résultat, il ne serait pas interdit, mais assorti de conditions telles qu’il devienne impraticable. Sauf à engager des modifications importantes dans le fonctionnement de certains réseaux de distribution y compris des intermédiaires. La première perspective est de mettre fin aux règles d’exclusivité et/ou aux relations privilégiées entre un assureur et un intermédiaire. En effet, le maintien du commissionnement ne serait possible que si le distributeur ou l’intermédiaire délivre son conseil sur une base indépendante. C’est-à-dire, en évaluant un nombre suffisant de produits d’assurance disponibles sur le marché, suffisamment diversifiés en termes de type et de fournisseurs de produits, pour s’assurer que les objectifs du client peuvent être atteints de manière adéquate. Si cette option n’est pas possible, compte tenu de liens étroits entre le distributeur ou l’intermédiaire et le fournisseur du produit, le commissionnement serait interdit. Ce qui se présente comme l’alternative est donc quasi irréalisable.

Entre deux maux, il faut choisir le moindre, tel est l’adage retenu par ce projet qui dit assez clairement, soit vous abandonnez le commissionnement, soit vous mettez fin aux règles d’exclusivité et/ou aux relations privilégiées. En d’autres termes, la généralisation imposée de la fonction de courtier, vraiment et totalement indépendant. Nous ne sommes plus dans la philosophie de la DDA qui aspire, avant tout à clarifier, rendre transparente et normaliser l’offre de prestations d’assurance. Ce projet fait entrer la réglementation dans un interventionnisme forcené. En effet, il induit un changement important que la plupart des distributeurs et des intermédiaires n’auront pas les moyens de satisfaire. Cela conduirait à des mouvements puissants dont personne ne peut, à ce stade, anticiper les conséquences. Dans tous les cas et a minima une déstabilisation des marchés et de la collecte.

L’instrumentalisation du marché n’en resterait pas là puisque le projet prévoit, en outre, de faire instaurer par chaque régulateur un référentiel qui déterminerait pour chaque produit s’il répond au bon rapport entre ses coûts et les services rendus (Value for money). Un pas vers l’économie administrée en donnant à la Puissance publique un pouvoir qui excède largement celui de la supervision et qui viendrait, au moins en partie, se substituer au devoir de conseil du professionnel.
Nous saurons très vite si ce projet a des chances de prospérer ou s’il a vocation à rejoindre la cohorte des initiatives mal pensées, ayant rompu avec le bon sens économique. Ou si la motivation profonde est de rompre avec un système de distribution qui n’est plus dans la doxa de la pensée consumériste. Une pareille volonté avait motivé en 2013 au Royaume uni la RDR2 qui a privé près de la moitié des consommateurs d’assurance de conseil.
1 Projet de stratégie européenne pour les investisseurs de détail
2 Retail Distribution Review (RDR) : 10 ans après sa mise en application, elle fait l’objet d’une révision pour limiter l’interdiction du commissionnement

Henri DEBRUYNE

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