La RIS1 ou l’impossible conjugaison des antagonismes
Cette initiative a l’ambition de renforcer l’union des marchés de capitaux (UMC) en offrant aux épargnants toutes les garanties d’un investissement accessible et à un juste coût.
Elle a donc pour but de renforcer la confiance des consommateurs qui investissent sur les marchés de capitaux, avec l’objectif d’orienter les flux d’investissements vers les entreprises du secteur privé. Cela pour soutenir l’économie. Le préambule du projet pose un principe louable « Garantir que le cadre légal donne suffisamment d’autonomie aux consommateurs, encourager des résultats de marché plus justes et, in fine, créer les conditions pour faire croître la participation des investisseurs particuliers aux marchés de capitaux ». Dont acte, l’ambition est élevée, elle ne peut que rallier tout le monde.
Les choses se gâtent lorsque les objectifs se télescopent. En effet, d’une part il faut rassurer les épargnants pour orienter leurs investissements vers les supports qui conviennent en leur garantissant suffisamment d’autonomie. Ce qui implique, d’autre part, que les distributeurs puissent effectuer leur travail d’information et de conseil dans des conditions optimales. C’est-à-dire en respectant les intérêts de leurs clients, en tenant compte de leur autonomie et de leurs exigences et en ouvrant le champ des possibles pour contribuer au fonctionnement du marché des capitaux.
Il n’y a certes pas d’opposition de principe entre les deux objectifs. Il faudra même arriver à les conjuguer pour les atteindre. Et là, l’enfer se précise. Les conditions d’exercice et donc de rémunération deviennent contraignantes au point d’être un potentiel facteur bloquant. En effet, si l’usage des commissions reste possible, il est assorti de contraintes de fait qui empêcheront l’immense majorité des conseillers actuels2 d’y avoir recours. En effet, le commissionnement devra être accompagné d’un conseil fondé sur l’évaluation « d’une palette appropriée de produits financiers », ou bien le conseiller devra « proposer au moins un produit financier alternatif exempt d’éléments additionnels et de coûts supplémentaires non nécessaires compte tenu des objectifs d’investissement du client ». Ce n’est ni l’organisation, ni la pratique des réseaux de distribution en Europe, aujourd’hui.
De fait, ces dispositions seront très perturbatrices. Or, pour atteindre leurs objectifs les forces commerciales ont besoin de stabilité et de suffisamment de sérénité pour exercer un métier difficile, stressant et fondé sur le challenge permanent. Il n’est pas nécessaire de la leur compliquer la tâche en ajoutant de l’insécurité doublée d’une suspicion généralisée. Il faut tout faire pour réduire les conflits d’intérêts, lutter contre l’abus des biais cognitifs, mais il faut être attentif aux effets contre productifs qui pourraient brider l’objectif de développer la collecte recherchée.
Il n’est pas supportable que des pratiques douteuses perdurent. Que la Puissance publique les sanctionne plus vigoureusement, serait une bonne chose. Par ailleurs, les instances professionnelles doivent les dénoncer. Ce qui donnera plus de force à leur discours au moment où cette RIS va entamer un long parcours législatif au cours duquel les positions les plus véhémentes ne manqueront pas de s’exprimer. Dans tous les cas, si le projet reste en l’état, il risque d’être impraticable ou alors les conséquences se paieront cash.
Enfin, il serait judicieux, au moment où la Commission veut donner suffisamment d’autonomie aux consommateurs qu’elle les associe à la défense de leurs intérêts. Ils ne demandent qu’à être acteurs de leurs choix. Aidons-les à prendre les décisions qui les concernent en leur laissant ouvertes le plus d’options possibles y compris dans les choix de rémunération de leurs conseillers.
1 Retail investment strategy, en français stratégie pour l’investissement individuel présentée le 24 mai 2023
2 Agents généraux, Courtiers, MIA, Collaborateurs salariés.
Henri DEBRUYNE