COVID 19 : la raison n’est pas au rendez-vous

par | 18 Juin 2020 | Eclairage

Les débats autour du COVID 19 et de l’indemnisation des victimes ne baissent pas d’intensité. Installés dans la polémique, ils ne progressent pas vers la clarté. Et pourtant, il serait bien temps d’être raisonnable.

Roselyne Bachelot a annoncé fin mai une judiciarisation à l’américaine. Nous en voyons les prémices. Sous le titre « COVID 19 : des avocats en quête de victimes », un article du Monde du 12 juin va plus loin puisqu’il fait état – témoignages à l’appui – d’un véritable démarchage dont les malades et les familles de victimes feraient l’objet de la part de certains avocats adeptes du fast droit, qualifiés d’opportunistes.

L’article élargit son sujet au récent foisonnement de prétendues associations de victimes montées de toutes pièces par des avocats. Même si elles ont l’argument de regrouper des personnes isolées en perspective d’actions collectives, ces situations – que l’on veut croire minoritaires – sont d’ailleurs dénoncées par nombre de leurs confrères. Elles font l’objet de la part du CNB d’une réserve prudente : en substance sa position pourrait être que « si ç’est vrai, ce n’est pas bien ».

Ce qui est sûr, est que ces initiatives n’aident pas à aborder ces sujets difficiles et parfois dramatiques avec sérénité. En effet, derrière ces questions, les éventuelles mises en cause et les hypothétiques succès, il y a des femmes et des hommes, des histoires personnelles parfois intimes. Cela requiert, dignité, conscience, indépendance, probité et humanité comme le rappelle le Règlement Intérieur National (RIN) des Avocats. Et cela appelle à des approches individualisées, personnalisées, qui seules permettront à l’homme de l’art d’analyser la situation dans sa complexité et de délivrer un conseil éclairé exempt de tout conflit d’intérêt. Une exigence bien éloignée de la systématisation sinon de l’industrialisation des process qui structurent trop souvent les démarches collectives.

Or, la situation est déjà difficile, l’agitation n’est guère propice à une réflexion sensée, laquelle serait la bienvenue. En effet, la majorité des questions soulevées sont juridiques : la garantie est-elle acquise ou pas ? La responsabilité est-elle engagée, oui ou non ? Si les parties ne sont pas d’accord sur les réponses apportées, seul le juge peut donner l’interprétation qui s’imposera. Ce qui implique que les assureurs expliquent leur position autrement que par un mail lapidaire. Le moins que l’on puisse dire est que la clarté de leur position est bien en deçà de ce qu’il faudrait.

Aborder cette analyse par l’angle économico-financier, comme le font certains, pollue le débat. La question n’est pas de savoir si les assureurs peuvent payer, mais s’ils doivent payer et à quel titre. Si c’est dû, ils assumeront et heureusement, ils ont constitué les réserves pour cela. Mais ils sont tenus par leurs engagements et ne peuvent s’en extraire. Ils le doivent à leurs assurés comme à leurs actionnaires ou à leurs sociétaires. Ceux-ci ont le droit de savoir si le respect des règles et l’équité sont bien la norme. S’abandonner à une toute autre rhétorique, nous éloigne de la raison.

Analyser les bilans des assureurs, montrer là où il existe des réserves, invoquer un devoir de solidarité n’ont aucun sens. Il ne faut pas mélanger les genres. D’un côté le droit, de l’autre la solidarité, c’est ce à quoi les Pouvoirs publics ont invité les assureurs. Séparer les deux notions n’est pas seulement de bonne gestion, c’est une clarification indispensable. Les clients et les marchés doivent savoir d’où viennent les fonds et à quel titre ils sont versés. Faute de quoi la confusion s’accroit tel que les remontées de terrain donnent à le penser. Certaines compagnies distribuent des aides, d’autres pas. Des clients bénéficiaires de subsides se demandent pourquoi ils n’ont pas plus et dans tous les cas cela leur paraît bien éloigné d’une indemnisation réelle. Cela sent le maquignonnage pour reprendre la formule d’un chef s’entreprise concerné.

Il n’y aura guère de progrès sans retour à la raison, à l’explication et à la transparence, pas de dialogue sans respect du droit, de toute manière in fine le dernier mot reviendra au juge donc à la loi.

Henri DEBRUYNE

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