Coup de chaud sur l’assurance santé : Un mauvais exemple pour les relations Public/privé

par | 21 Déc 2023 | Eclairage

Les échanges tendus entre les Pouvoirs publics et les assureurs, sur fond de hausses des cotisations des complémentaires santé, montrent la difficulté d’ajuster des pratiques antagonistes. Or, nous avons plus besoin que jamais de construire des partenariats Public/privé.

Les échanges acrimonieux, par voie de presse, entre le directeur général de la sécurité sociale et un certain nombre de dirigeants de l’assurance au sujet des complémentaires santé soulignent que les tensions sont montrées d’un cran. Le fond n’est pas nouveau. Prendre à témoin l’opinion publique est inédit, même si les responsables politiques ne se sont jamais privés d’interpeller les assureurs. Les arguments utilisés reflètent la difficulté de faire converger deux réalités économiques par construction différentes. Les comptes de la sécurité sociale sont déficitaires depuis longtemps, chacun le sait. Ce déficit est financé par de la dette, garantie par l’Etat. Le marché de la complémentaire santé est également déficitaire, mais les assureurs, qu’ils soient mutualistes ou du secteur capitaliste, le gèrent sans pouvoir recourir aux mêmes facilités. Ils doivent le corriger par les moyens classiques, c’est-à-dire agir sur les dépenses et/ ou augmenter les tarifs. S’agissant des dépenses, elles sont en grande partie induites par l’Etat, comme nous avons pu le constater avec le 100% santé. Reste le tarif, d’où les propos qui s’insurgent sur le poids des cotisations dans le budget des ménages. Et pourtant, la concurrence est vive sur ce marché, mais elle ne fait pas baisser les tarifs. Même l’introduction de la résiliation infra annuelle (RIA) n’y change rien. Ce qui revient à constater que le marché est en dessous du point d’équilibre. Quoi qu’il en soit, le régulateur (ACPR) est censé veiller au grain et ne peut pas laisser perdurer des situations financières déséquilibrées. L’adage dit bien que la main droite ignore ce que fait la main gauche. En droit, cela s’appelle un conflit d’intérêts.

Alors, mezza voce certains pointent le fait que la gestion des assureurs est plus onéreuse que celle de la sécurité sociale. C’est factuellement vrai, mais spécieux1. En effet, les chiffres avancés sont ceux de la seule gestion, à laquelle il faut ajouter ceux de la collecte par l’URSSAF. Le gap reste important, en grande partie parce que les contraintes réglementaires ne sont pas les mêmes (DDA, LCBFT, RGPD sans oublier Solvabilité II). La complémentaire santé est dans le domaine concurrentiel et les citoyens ont, en grande partie, la faculté de choisir leur assureur et leurs garanties et ils ne s’en privent pas. Ils sont d’ailleurs invités à en user. Ce qui nécessite des moyens humains pour solliciter ces clients, répondre à leurs besoins et les gérer.

Ce que la question tarifaire révèle est d’abord une qualité de dialogue insuffisante. Les assureurs se plaignent de ne pas partager les mêmes informations et que les décisions relèvent plus du fait du Prince que d’une recherche de compromis acceptables. Cela augure mal des dialogues nécessaires pour élaborer les modèles désormais nécessaires. En effet, les besoins colossaux de la protection sociale (santé, retraites et financement du Grand âge) ne pourront être satisfaits par l’Etat dont les capacités ne sont plus suffisantes. Il faut donc construire de nouveaux outils Public/privé. Cela suppose de mobiliser des moyens tout autant que d’instaurer une gouvernance différente entre la Puissance publique, la haute administration et les assureurs. Une « gouvernance » qui s’impose du fait que les moyens seront certes financiers, mais installés sur le temps long. Un plan de prise en charge de la dépendance se prépare sur une trentaine d’années, il en est de même pour consolider les besoins de retraite complémentaire. Cela nécessite une stabilité à la hauteur de la pérennité souhaitée qui s’accommode mal de mouvements politiques intempestifs et parfois erratiques. De son côté, si l’assurance peut apporter ses capacités et son savoir-faire, ses organisations devront, elles aussi s’adapter à des dimensions dont nous n’avons qu’une idée imparfaite.
1 Tribune des Echos du 14 décembre 2023 par Thomas Fatôme (Directeur général de l’Assurance Maladie

Henri DEBRUYNE

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