Anticiper pour ne pas être submergé
Dans une période troublée où les certitudes les plus solides sont contestées, l’environnement chahuté, il est vital d’anticiper. Un exercice difficile, tant les contextes sont mouvants, mais indispensable pour canaliser les énergies et éviter de s’installer dans une réactivité brouillonne et impuissante.
Le monde change, les consommateurs sont exigeants, versatiles, le contexte réglementaire de plus en plus contraignant et la vague technologique impose de nouveaux standards. Tout cela est vrai, tout cela est largement vécu comme une remise en cause profonde des métiers, particulièrement chez les acteurs commerciaux. Ce qui provoque soit un comportement de déni, soit un vent de crispation et parfois les deux, plus rarement un mouvement de réflexion, d’innovations ou d’exploitation des opportunités.
Cela se vérifie dans tous les pays européens à niveaux de développement comparables. Comme si tout ce que nous vivons était spontané et que rien n’était prévisible. Ce qui est frappant, parfois jusque dans la similitude des expressions entendues ici et là, c’est une espèce de stupeur, d’incompréhension qui prévaut. Or, la grande majorité des facteurs perçus comme menaçants sont présents depuis longtemps. La seule inconnue réside dans leur conjonction et souvent le moment de leur survenance.
Et pourtant, les mouvements à l’œuvre sont aussi porteurs de bénéfices. La croissance de la masse assurable, l’augmentation des effectifs des forces commerciales, particulièrement les intermédiées (agents et courtiers), le besoin de gestion des risques pour ne citer que les plus flagrants. Ensuite, bien des contraintes sont, aussi, des opportunités. Encore faut-il, pour le savoir, faire l’effort d’analyser, en un mot de procéder à un exercice de prospective. C’est-à-dire, s’élever un peu au-dessus du quotidien et de ses embarras. Le secteur de l’assurance n’y est pas habitué, peut être parce que son environnement lui semble peu menaçant, dans tous les cas il est bien moins dans l’adversité que bien d’autres activités qui se sont résolues depuis longtemps à être dans le mouvement.
La RIS1, dont le projet vient d’être validé par la Commission européenne, impose d’ailleurs cet exercice d’anticipation car potentiellement les mesures préconisées menacent le modèle économique de pans entiers d’activités. Certes, le pire n’est jamais certain et un texte de cette nature va suivre un long parcours législatif avant d’être transposé. Il n’en demeure pas moins que, outre ses modalités connues et qui seront amendées sous une forme ou sous une autre, il porte une volonté de structuration du fonctionnement des marchés financiers et de l’assurance. Une volonté qui vient de loin, autour des années 1990, et ne va pas s’évaporer comme neige au soleil. Il en restera toujours quelque chose.
Bien des secteurs montrent combien cette posture d’anticipation a permis d’aborder de larges virages sans trop de drames. Le commerce traditionnel s’est ainsi approprié l’évolution digitale opérant une révolution, au sens étymologique du terme, bousculant les organisations, repositionnant les collaborateurs, adaptant les profils des vendeurs. Leclerc et mieux encore Carrefour, en situation délicate voici quelque temps, apportent la démonstration qu’en collant aux attentes des consommateurs, en associant les pans les plus larges de leurs entreprises à l’analyse et aux réflexions, ils pilotent un vaste mouvement d’adaptation.
Notons leur leçon. Ils ont anticipé donc, mais en y associant toutes les forces vives, ce qui est le meilleur moyen de les mobiliser et de diffuser une vision organisée et porteuse pour l’avenir. Il n’y a pas meilleurs propagandistes que ceux avec lesquels le diagnostic est partagé. Il n’y a pas de meilleur créneau pour anticiper que lorsque finalement cela ne va pas si mal.
1 Retail Investment Strategy (RIS), proposition de directive du 24 mai 2023
Henri DEBRUYNE