AFFAIRE SFAM – INDEXIA : des sanctions pénales lourdes mais frustrantes
Ce post est un peu long, mais lisez le jusqu’au bout, Merci
Les condamnations pénales prononcées à l’égard de Sadri Fegaier sont sévères. Néanmoins, au regard de l’un des plus gros scandales assurantiels du XXIème siècle, elles laissent un sentiment d’insatisfaction.
La 31ème chambre correctionnelle du Tribunal Judiciaire de Paris a rendu le 17 décembre son jugement sur les aspects pénaux des pratiques commerciales reprochées à Sadri FEGAIER et plusieurs de ses sociétés de la galaxie Indexia, au premier rang desquelles la SFAM.
Sadri FEGAIER est condamné à de 2 ans de prison – c’est-à-dire la peine maximale – dont 16 mois fermes non aménageables (condamnation qui n’est pas assortie du mandat de dépôt qui l’aurait conduit directement du Tribunal à la prison), outre une amende de 300 000 €, une interdiction de gérer pendant 5 ans ainsi que la confiscation de ses biens immobiliers (dont sa résidence principale), déjà saisis à titre conservatoire. Cette sévérité est sans nul doute le fruit, non seulement de ses agissements, mais aussi de son attitude fermée voire arrogante tout au long du procès. Ce que les magistrats ont perçu comme une absence de repentir. Les six sociétés de son groupe poursuivies sont quant à elles condamnées à des amendes allant jusqu’à 1,5 M€ (dont à l’encontre de la SFAM). Reste à savoir si des appels seront exercés à l’encontre de ce jugement, notamment par Sadri FEGAIER. Les syndicats le craignent car selon eux « la décence ne fait pas partie de ses valeurs ». S’il ne fait pas appel sous 10 jours il sera convoqué pour effectuer ses 16 mois de prison.
Le traitement du volet civil, c’est-à-dire l’indemnisation des milliers de victimes, est repoussé au 10 avril 2025. Le jugement a toutefois alloué plus de 200 000 € à l’UFC-Que choisir, fortement impliquée depuis des années, et qui salue la « justesse de la décision rendue ».
Enfin, comme l’a rappelé à la sortie de l’audience Maître Emma Leoty, avocate de nombreuses parties civiles, ce résultat, déjà satisfaisant, n’est qu’un début. En effet les pratiques commerciales sanctionnées le 17 décembre ne sont que la face émergée de l’iceberg. D’autres procédures au civil, notamment contre les assureurs partenaires de ces sociétés, sont en cours. Des faits « d’abus de confiance » et « usage de faux » ont été pour l’instant écartés de la procédure pénale et relèveront de nouvelles actions à venir pour escroquerie.
La question est de savoir quelle sera la position du Parquet sur le fait de déclencher ou non de nouvelles investigations et de nouvelles poursuites, pour tous les faits connexes comme les sur-prélèvements, l’usage des mandats Sepa et des Iban des consommateurs sans leur accord, la transmission de leurs données personnelles, l’escroquerie…?», réagit Maître Alexis Macchetto, avocat de l’UFC-Que Choisir, dont les enquêtes avaient montré la fraude massive.
Mais le plus dur reste à faire : essayer de comprendre comment pareille malversation a pu perdurer pas moins de 10 ans, notamment dans un secteur aussi réglementé et contrôlé que l’assurance, sans que jamais rien ni personne n’y ait mis un terme. Les Echos évoquent à juste titre un aveuglement collectif…
On pourrait même parler de défaillance collective.
Effectivement, qu’ont fait depuis 2014 :
- Les partenaires distributeurs (FNAC…) ?
- Les porteurs de risques (MMA, AXERIA…) ?
- Les grands médias qui ont joué les sponsors à grands coups de « formidable ascension » et de « success story » du plus jeune milliardaire de France (Challenges, Le Point, L’Express…) ?
- Les banques qui ont laissé et laissent encore parfois passer tant de prélèvements non vérifiés, sans mandat ?
- Les instances professionnelles, à part en chuchoter avec malaise dans les couloirs des réunions professionnelles ?
- Les autorités de contrôle (ACPR, DGCCRF) dont la mission première est de protéger les consommateurs ? Elles ont sanctionné certes, mais tard et pas assez fort, et sans réintervenir alors que des récidives systématiques et de grande ampleur perduraient ?
La DGCCRF a toutefois joué un rôle qui est très loin d’être négligeable, et elle tient à ce qu’il en soit tenu compte au milieu de l’océan de reproches à venir. Elle a publié le lendemain du jugement un communiqué de presse titré « une condamnation exemplaire au terme d’une deuxième enquête d’ampleur de la DGCCRF ». Le contenu comme la temporalité de cette publication laissent un peu perplexe : elle y rappelle ses 2 enquêtes de 2018 et 2019, l’amende de 10 M€ en 2019, mais aussi les récidives… a priori sans suite. Elle conclut par une résolution forte à laquelle on veut croire : « En 2025, la DGCCRF maintiendra sa pression de contrôle dans le secteur des assurances affinitaires. Les enquêteurs vérifieront le respect par les professionnels des règles relatives à la protection du consommateur, notamment dans les secteurs qui engendrent le plus de litiges comme les assurances ».
- Les commissaires aux comptes, alors que la sincérité des comptes pouvait être questionnée ?
- L’équipe dirigeante et le Conseil d’administration qui ne pouvaient pas TOUT ignorer pendant 10 ans
- Les fonds d’investissement (Ardian, BPI France, etc.)
- Les salariés, certes pour la plupart englués dans une contrainte paradoxale. Mais … et l’Inspection du travail ?
Sadri Fegaier a pu tranquillement constituer sur des années, en France et à l’étranger, une nébuleuse inextricable gérée par ses proches et faire prospérer ses pratiques aujourd’hui qualifiées de frauduleuses. Pendant tout ce temps, d’innombrables personnes physiques et morales dont la mission était le contrôle voire la sanction ont fermé les yeux (complices, inconscientes, irresponsables ? Trop cloisonnées ?). D’autres qui n’avaient pas ce pouvoir ont toutefois observé la situation sans lancer d’alerte, ou ont simplement contribué à son accomplissement sans se poser de questions.
Il n’est pas possible d’éviter de répondre. Il faudra s’interroger sur les failles, les manquements et les responsabilités. Une chasse aux sorcières serait la pire des choses car généralement elle n’aboutit qu’à désigner des boucs émissaires. Si nous voulons éviter un ou de nouveaux « sinistres » de cette ampleur, il faut réfléchir collectivement. Sinon ? Nous attendrons le prochain scandale, et nous n’aurons pas la conscience tranquille.
Source : MEDI