Réforme du courtage encalminée, et si les vraies questions n’avaient pas été traitées ?

par | 31 Août 2022 | Eclairage

Le dispositif d’auto-régulation,1 imaginé pour aider les courtiers à se conformer aux exigences du Code des assurances, est sérieusement contesté. Et si, cette réforme, qui s’inspire de la Directive distribution, manquait en fait son objectif de renforcer la protection des consommateurs ? 

Patatras ! La réforme du courtage de l’assurance, laborieusement mise sur les rails, soulève de fortes réticences de la part du Conseil d’Etat. Celui-ci vient donc de saisir le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité. En clair, les juges administratifs estiment sérieux deux griefs présentés par un opposant à cette réforme2. L’idée de départ est d’aider les courtiers à gérer l’accumulation des contraintes réglementaires qui entrave, semble-t-il, leur exercice professionnel. Et ainsi de faire en sorte que les modalités qui renforcent la protection des consommateurs voulue par le Code des assurances soient effectives.

Nombre d’observateurs, dès l’adoption de la loi et plus encore à la publication du décret, avaient trouvé qu’en l’état, la mise en place de ce processus soulevait plus d’interrogations qu’il n’éclairait sur les bénéfices escomptés par cette « réforme ». En effet, les débats se sont concentrés sur les moyens de faire respecter des dispositions réglementaires, certes importantes, mais au fond très factuelles (compétence, formation, service de médiation, etc.) dont aucune étude ne démontre qu’elles sont à l’origine de défaillances si répandues qu’elles nécessitent des mesures coercitives renforcées. D’autant que le marché n’est pas face à un grand vide. Différents syndicats, associations ou prestataires proposent déjà des services de la même veine et qui ne sont pas hors de portée. Le marché n’est pas défaillant. Enfin, les courtiers sont juridiquement sous le contrôle étroit des organismes d’assurance avec lesquels ils travaillent tant sous l’angle de la directive Solvabilité 2 (article 49) que de la directive distribution notamment dans les dispositions de la gouvernance produit3. Pour le reste le contrôle des intermédiaires est du strict ressort de l’ACPR. L’objectif non-dit de cette réforme, est de mettre en place un dispositif qui fait des associations agréées de facto des organes supplétifs de la Puissance publique. C’est donc en réalité une question liée à l’insuffisance des moyens de l’ACPR.

L’élaboration de cette réforme s’est donc concentrée sur les courtiers et le respect de dispositions formelles, considérant qu’ils ne sont pas en situation d’assumer leurs obligations, ce qui au demeurant n’est guère flatteur. Mais de ce fait, elle est passée à côté de questions importantes dont l’actualité de ces dernières années n’a pas été avare. Un courtier a notamment pour fonction de présenter à son client un porteur de risques dont il a toutes les raisons de penser qu’il sera en mesure d’assumer ses engagements. Comment le sélectionne-il ? Sur quelles bases ? Quelle est la nature des informations qu’il doit fournir à son client ? Les difficultés liées à l’assurance construction sont encore trop présentes pour que cette question reste dans l’ombre. Et, sans minimiser l’importance du respect des règles de conformité, celles du choix de l’assureur et des sécurités qui doivent l’entourer sont de la plus haute importance. Elles ne sont pas traitées.

Enfin, cette réforme, qui concerne au premier chef la distribution, s’est concentrée sur les seuls courtiers en assurance et en réassurance et leurs mandataires. Pour autant, le périmètre de la distribution englobe d’autres intermédiaires, mais aussi les organismes d’assurance qui distribuent en direct. Sommes-nous sûr que dans ces réseaux les forces commerciales sont au top du respect des règles dont la réforme présuppose que les courtiers ont du mal à l’être ? Nous verrons ce qu’en dit le Conseil constitutionnel, mais en première analyse il s’agirait d’une forme de discrimination, là où précisément la DDA n’en faisait pas et ciblait expressément les acteurs de la distribution. Tous les acteurs. La réglementation française serait alors en plein contresens et s’orienterait vers une surtransposition, voir une mé-transposition du droit européen.

1 Loi n° 2021-402 du 8 avril 2021 relative à la réforme du courtage de l’assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement
2 L’Association nationale des conseils diplômés en gestion de patrimoine (ANCDGP) a déposé deux recours devant le Conseil d’Etat les 20 mai et 1er juillet 2022
3 Articles L516-1 à L516-2 et règlement délégué (UE) 2017/2358 de la Commission du 21 septembre 2017

Henri DEBRUYNE

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