La réforme du courtage

par | 28 Jan 2021 | Humeur

Un projet de loi chemine dans le processus législatif français, intitulé « réforme du courtage de l’assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement ». Il suscite, en l’état, plus d’interrogations qu’il n’éclaire sur les bénéfices escomptés par cette « réforme ».

L’idée de départ est intéressante, aider les courtiers à gérer l’accumulation des contraintes réglementaires qui entrave, semble-t-il, leur exercice professionnel. Pour cela, une ou des associations professionnelles auraient pour mission de les accompagner afin qu’ils puissent satisfaire leurs obligations. Ces associations seraient titulaires d’une délégation de missions de service public. L’adhésion à l’une de ces associations serait obligatoire pour être courtier.

En fait, la Directive distribution a renforcé le cadre des activités des intermédiaires en assurance avec l’objectif de mieux protéger les consommateurs. Elle a renforcé leurs responsabilités en particulier en leur imposant d’agir au mieux des intérêts des clients. Le contrôle des pratiques professionnelles reste dévolu à l’ACPR. Celle-ci contrôle d’ailleurs les intermédiaires de manière de plus en plus régulière. Il s’agit là d’une fonction régalienne qu’elle ne peut déléguer. Dans le même registre du contrôle, Solvabilité II et la gouvernance produits de la DDA font obligation aux organismes d’assurance de vérifier la qualité des pratiques professionnelles de leurs apporteurs. Il existe donc déjà un double contrôle, l’un – celui de l’ACPR – ne peut être délégué, l’autre – celui des porteurs de risques – ressort de leur responsabilité pleine et entière.

C’est donc dans ce cadre que la réforme du courtage s’insère. Improprement appelée autorégulation, cette réforme institue plus exactement un dispositif de supervision. Le rôle de l’ACPR pose d’ailleurs les limites des règles des associations. Elles ne pourront être moins contraignantes que la loi, ni plus restrictives d’ailleurs. D’autant que ce projet de loi ne justifie en rien d’un intérêt général clairement établi et encore moins d’une urgence pour expliquer la précipitation du calendrier législatif. Le texte se borne à imposer une offre de services, une observation de l’activité, mais n’évoque aucune notion disciplinaire, ni même n’exige des procédures écrites. Bref, il prévoit ce que le marché offre déjà au moins partiellement en termes de fonctionnalités.

Un grand nombre de questions reste en suspens.

Tout d’abord, le choix même de confier à des associations cette fonction de supervision. En effet, une association est une structure démocratique qui rassemble des adhérents attachés à un objectif commun. Ce qui revient à ce que les membres conviennent entre eux d’un projet pour la satisfaction d’une cause commune. L’adhésion est libre comme la faculté d’en sortir. De même, les adhérents se choisissent des représentants auxquels ils donnent des orientations claires pour atteindre l’objectif commun. En présence de plusieurs associations, il parait évident que des projets politiques divergents écloront sous la condition de respecter la délégation de service public. Mais comme l’adhésion sera obligatoire, ce qui est antinomique avec la liberté d’adhérer qui sied aux associations, l’expression se fera sur d’autres critères et dans un cadre contraint. Les débats seront vigoureux d’autant qu’il faudra mobiliser des moyens financiers – qui se traduiront dans les cotisations – pour atteindre un objectif imposé.

Ensuite, les relations avec les organisations syndicales constituent un point délicat. La représentativité professionnelle est la fonction essentielle des syndicats (loi Waldeck Rousseau de 1884). Ce sont eux qui portent les intérêts du courtage dans son ensemble. Les associations seront chargées des intérêts de leurs membres définis par la démocratie interne. Nous voyons poindre les conflits d’autant plus nettement que d’un côté l’adhésion syndicale ne peut être qu’un acte de liberté, alors que les associations seront fortes des adhésions obligatoires avec à la clé une disparité des forces. A cela s’ajoute l’hétérogénéité du courtage qui rassemble des métiers différents (activités non-vie, vie), des organisations et des tailles très variables (du méga broker au travailleur solo). Cette réalité est fondamentale car elle renvoie à des comportements, des aspirations, des choix, des contextes économiques très différents et la recherche du consensus tiendra du plus petit commun dénominateur. Sauf à spécialiser ces associations.

Enfin, il ne faut pas oublier que l’Autorité de la concurrence est très vigilante sur les services et prestations apportées par les organismes professionnels à leurs adhérents. En aucun cas, ceux-ci ne doivent pouvoir être assimilés à des activités anticoncurrentielles, notamment des ententes sur les prix, des échanges d’informations anticoncurrentielles ou encore des actions concertées visant à freiner ou entraver la concurrence. Pour faire bonne mesure, la transposition de la directive n°2019/1 dite « ECN+ » au 1er janvier 2021 renforce les sanctions éventuelles à un niveau réellement dissuasif.

Une recherche consensuelle préalable aurait été la bienvenue. Les besoins des courtiers ne semblent pas cernés, leurs caractéristiques comme leurs différentiels pas évalués. Les instances syndicales représentatives auraient pu définir concrètement les objectifs de ces associations, les moyens de les atteindre en tenant compte des fonctionnalités déjà existantes et surtout des réalités opérationnelles d’un monde professionnel qui recouvre des réalités très différentes. Peut-être est-ce un rêve.

Toujours est-il que cette phase ne semble plus d’actualité, la proposition de loi sur la réforme du courtage devant être discutée devant le Sénat mi-février après sa récente adoption par l’Assemblée Nationale.!

Henri DEBRUYNE

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